Le ruisseau des Aygalades
Le ruisseau des Aygalades
On m’appelle ruisseau des Aygalades, maintenant, pas grand monde me connaît, quoique, avec le renouveau d’intérêt pour l’environnement, je vais peut-être redevenir à la mode !! Une cure de jeunesse m’est promise, et me fera le plus grand bien. Car voyez-vous, jadis, je coulais dans une vallée que j’avais creusée à force d’user mes cailloux contre toutes les roches qui m’étouffaient. Ainsi des arbres, des prairies avaient pu pousser. Des lavandières chantaient en battant leur linge, accompagnées par le cliquetis des moulins à eau, et puis quelle rumeur sur la route qui se dirigeait vers Marseille. J’en ai vu passer du beau monde qui allait au château des Aygalades, même le prince de Talleyrand, oh ! Il était vieux quand il séjourna là, mais il n’avait pas perdu son habitude de courtiser toutes les belles filles qu’il apercevait. Il essayait d’éblouir les jeunes servantes des fermes du domaine, mais elles préféraient regarder les bergers qui gardaient leurs troupeaux sur la colline derrière. Là haut on trouvait aussi des peintres, car ils avaient une vue dominante sur Marseille. Il y avait parmi eux un certain Loubon qui peignit le tableau appelé « Marseille vu des Aygalades ». Et le mistral m’a raconté, qu’en s’engouffrant dans le musée des beaux-arts, il l’a vu exposé avec des moyens de surveillance énormes, car il vaut une fortune !! Comme les humains sont bizarres ! personne se préoccupait de ce peintre, on ne savait même pas son nom, alors que tout le monde admirait les toilettes des dames qui se promenaient sur la terrasse du château.
Et puis est venu ce qu’on a appelé la révolution industrielle. L’eau de la Durance est arrivée par un canal, là-haut sur la colline, avec une voie de chemin de fer pour être utile au port de Marseille. Alors , moi, on m’ a complètement oublié, Des usines et des habitations ont poussé de partout dans ma vallée, alors on m’a emprisonné entre des murs, les hommes appellent cela canaliser un cours d’eau ; Pire que cela, ils ont déversé toutes leurs eaux sales, il ont fait de moi un égout. Je suis devenu tellement laid, que plus personne ne s’est approché de moi. Je me suis bien vengé quelques fois en inondant tout le quartier d’Arenc, quand les fortes pluies me donnaient beaucoup de force, mais à quoi bon !! Il a fallu que ma puanteur et ma laideur, gênent ceux qui voulaient rénover Marseille pour attirer de nouveaux décideurs. Alors sur des plans, on a prévu de m’enlever mon carcan de béton pour que l’herbe puisse à nouveau pousser sur mes rives, que les oiseaux et les poissons reviennent, et qu’on vienne se promener, comme avant sur mes rives. Ils appellent cela « la coulée verte ». Alors avec toute mon énergie, je supplie la « Bonne Mère », que cela se réalise.